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 COMEDIE MUSICALE HOLLWOODIENNE: HISTORIQUE ET EVOLUTION DU GENRE
Genre typiquement américain, la comédie musicale est apparue sur les écrans avec l’avènement du sonore et du parlant. Tributaire des tendances cinématographiques, des goûts du public et de l’histoire de son pays d’attache, elle a connu de nombreuses fluctuations pour n’exister désormais que sous forme de résurgences. Retour sur les six grandes périodes qui ont constitué le genre.
BROADWAY MELODY
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La comédie musicale est née sur scène, à Broadway, au milieu des clowns, acrobates, bêtes exotiques, magiciens et autres danseuses de revues. Dans le Theater District en plein cœur de Manhattan, bouillonnaient, dès la fin du 19ème siècle, des shows flamboyants et pailletés dont la trame très légère et souvent courte se basait sur un duo amoureux et intégrait chants et danses, permettant ainsi d’allier en une même représentation divers courants spectaculaires à la mode. De son côté le cinéma avait toujours mis en scène la danse, tout en accompagnant très tôt ses films de musique live. Lorsqu’il devient sonore et parlant, sa rencontre avec la scène est inévitable. Les musicals de Broadway représentent pour cette avancée technologique un moyen inespéré de mettre en valeur ses différentes possibilités: enregistrer du son, des dialogues, de la musique, du chant en les faisant interagir avec différents types d’action et de mouvements. En contrepartie, les auteurs de shows disposent désormais d’une méthode plus efficace pour illustrer leurs fantaisies et travailler leurs transitions. Les premiers films musicaux américains seront donc des adaptations de ces shows, et principalement de revues, dont l’action est située dans le milieu du spectacle. Les morceaux de danse y sont souvent peu soignés, l’intérêt réside dans le chant et les starlettes en petites tenues arpentant les coulisses. Ce cycle des backstage musicals (intégré plus tard au sous-genre de la comédie-spectacle), construit toujours sur le même principe, va peu à peu lasser le public qui range au placard ce bourgeonnement de genre.
FLOWER BLOOMS
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La réelle éclosion se fera en 1933 avec 42ème rue de Lloyd Bacon dont les chorégraphies sont réglées et réalisées par Busby Berkeley. L’idée de génie du chorégraphe est d’utiliser tout le potentiel qu’offre le medium filmique, pour transformer les numéros de danse alors trop proches de ce que l’on peut voir sur scène, en structures plastiques très élaborées. Il joue sur les angles de prise de vue, l’échelle de plan, le cadrage, la composition de l’image pour constituer de véritables tableaux chorégraphiques. Les girls deviennent des pétales de fleurs filmées en plongée, leurs jambes des éventails qui se déploient en gros plan, l’ensemble prend une saveur particulière avec l’image en noir et blanc. Ce principe n’est pas sans rappeler les dessins animés musicaux, très populaires à l’époque, qui servent d’interludes sur les écrans. Terrains d’expérimentation servant à perfectionner les techniques de doublage, ces courts métrages tiendront une place importante aussi bien dans l’évolution du genre que dans l’industrie cinématographique. Non seulement ils marquèrent les débuts prometteurs des studios Disney avec leur série des Silly Symphonies (qui garderont le cap et construiront la plupart de leurs longs métrages comme des comédies musicales), mais également permirent la mise en avant des artistes noirs comme Cab Calloway, Bill ‘Bojangle’ Robinson ou Louis Armstrong, par l’intermédiaire des épisodes de Betty Boop. En effet, ces chanteurs, acteurs, danseurs de talent étaient souvent relégués à des rôles de faire-valoir, ou n’apparaissaient que dans des morceaux uniques. Ces tensions résultaient d’une lutte acharnée des réalisateurs et/ou producteurs avec les pontes des studios, bien trop vieux jeu et réfractaires.
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Parallèlement à Busby Berkeley, un autre phénomène de la comédie musicale hollywoodienne se met en place: le duo Ginger Rogers et Fred Astaire sous contrat chez RKO. Ces productions reprennent à leur compte le système de chorégraphies chatoyantes et millimétrées de leur concurrent (Berkeley officie chez la Warner), ajoutent à l’ensemble un style art déco très travaillé et se débarrassent des intrigues de coulisses à portée sociale pour se concentrer sur les chamailleries amoureuses de ce couple naissant. Avec une dizaine de films en commun, Ginger et Fred vont devenir les figures emblématiques du genre dans les années 30. Chaque studio va alors tenter de se trouver des têtes d’affiche dont le simple nom serait synonyme de qualité pour le public. Ainsi, la Paramount qui produit principalement des opérettes filmées dérivant parfois vers la comédie musicale, signe avec Bing Crosby, Bob Hope, Dorothy Lamour et Mae West. La Fox de son côté mise tout sur la jeune Shirley Temple et ne changera pas d’égérie avant la fin de la guerre. Enfin la MGM (qui a déjà remporté des Oscars pour ses comédies musicales Broadway Melody en 1929 et Great Ziegfeld en 1936) voit naître un nouveau département musical sous la direction du compositeur Arthur Freed. Celui-ci choisit comme première production l’adaptation du Magicien d’Oz avec dans le rôle de Dorothy la petite protégée du studio, l’étoile grimpante Judy Garland. Le succès phénoménal du film propulse la demoiselle et son nouveau mentor sur le devant de la scène, faisant d’eux les nouveaux maîtres du genre.
GOLDEN YEARS
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Les années 40-50 vont ainsi être marquées par la suprématie de la MGM et de sa Freed Unit qui ira jusqu’à se réapproprier Busby Berkeley avec Babes on Broadway, ainsi que le couple Ginger et Fred pour leur dernier film en commun The Berkleys of Broadway. Parallèlement à cette récupération de talents déjà confirmés aux côtés desquels il fait jouer ses nouvelles recrues (Gene Kelly, Cyd Charisse, Lucille Bremer, Leslie Caron, Donald O’Connor, Frank Sinatra), Arthur Freed propose à ses réalisateurs des intrigues leur permettant de poser un regard réflexif sur le genre. Un petit coin aux cieux réhabilite les films all black à la manière de Hallelujah ! de King Vidor. Le Chant du Missouri et Mariage Royal (dans un autre registre) se placent en opposition avec les codes du genre développés dans les années 30. Ziegfeld Follies, La Pluie qui chante et Words and Music proposent des hommages aux stars de la comédie musicale scénique et cinématographique. The Barkleys of Broadway, Chantons sous la pluie et Tous en scène posent un regard tout particulier sur le métier d’acteur empruntant des plans et chansons à des classiques du passé. Un Américain à Paris joue sur la notion d’art total qui habite le genre depuis ses débuts. Les autres studios, moins prolixes, s’en tiendront au star system. La Paramount mise tout sur le duo comique Dean Martin/Jerry Lewis. La Fox, s’étant émancipée de Shirley Temple, fait signer des actrices blondes à la plastique irréprochable (Marilyn Monroe, Betty Grable ou Alice Faye) dans des comédies musicales aux couleurs chatoyantes. La firme aura son heure de gloire en 1954 avec Une étoile est née, qui signait le retour de Judy Garland.
NOUVEAU TOURNANT
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Dans les années 60, les nouvelles tendances musicales, l’émergence du flower power et le conflit vietnamien vont pousser la comédie musicale hollywoodienne à effectuer un virage radical qui marquera progressivement la fin du genre. Les stars de la danse sont peu à peu mises de côté, laissant la place à des acteurs "à voix" comme Julie Andrews ou des chanteurs confirmés comme Elvis Presley (sur grand écran dès 1956) ou Barbara Streisand (à partir de 1968). Les intrigues deviennent des fresques chorales mettant en avant les valeurs familiales. On retiendra notamment dans ce registre les deux films de gouvernante de Julie Andrews Mary Poppins (1964) et La Mélodie du bonheur (1965) qui en profite pour dénoncer les actes de guerre. La décennie est également marquée par l’ébranlement des majors laissant ainsi plus de place aux productions isolées. Ce sera le cas de
West Side Story (1961), première grande fresque musicale estampillée sixties. Le film joue sur tous les registres alliant scènes de groupes à l’énergie remarquable, duos sirupeux et lancinants, combats stylisés finement chorégraphiés. Sur fond de Romeo et Juliette il souligne les écueils du rêve américain. La fin de la décennie voit également naître une certaine émancipation sexuelle dans les sujets portés à l’écran. L’amour fou se voit ranger au placard et les romances bon chic bon genre sont classées comme désuètes. Voici venues les Millie Dillmount (Millie - 1967 de George Hill avec Julie Andrews) et les Charity Valentine Hope (Sweet Charity - 1969 de Bob Fosse avec Shirley MacLaine) qui découvrent la vie en arpentant les quartiers glauques.
LE CHANT DU CYGNE
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Une émancipation dont Bob Fosse se fait le fer de lance en portant à l’écran en 1972 l’un des show cultes de Broadway, Cabaret. Le film insiste sur le sordide du Berlin des années 30, tourne en dérision le nazisme et s’attaque aux tabous de l’identité sexuelle. Il impose Liza Minnelli sur le devant de la scène et rafle la mise aux Oscars. Jouant sur cette veine et sur la vague de films de science-fiction musicaux comme Tomorrow (1970), vont naître quelques productions mélangeant musique, sexe et horreur dont notamment Phantom of the Paradise de Brian De Palma ou Le Rocky Horror Picture Show adapté de la pièce anglaise de Richard O’Brien. A la fin des années 70, les majors en mauvaise posture ferment les portes de leurs départements musicaux, laissant chaque résurgence devenir un nouveau prototype du genre. En 1978, tablant sur le succès que John Travolta a acquis avec la Fièvre du samedi soir, Randal Kleiser adapte Grease. Délicieusement rétro avec des chansons entraînantes, le film devient rapidement culte, en faisant oublier au public sa version scénique créée dix ans plus tôt. L’année suivante, c’est Milos Forman qui se lance dans la réappropriation d’un show à succès: Hair. A partir des années 80, le genre passe quasiment aux oubliettes, voyant ça et là éclore quelques essais en marge de la production cinématographique à la mode qui privilégie les films de gros bras et d’aventure. On retiendra The Blues Brothers (1980), hommage au rhythm’n blues, Tout l’or du ciel (1982) qui garde des traces indéniables des satires amères des années 70, La Petite Boutique des horreurs (1986) jouant sur l’humour et le rétro, Hair Spray (1988) qui bénéficie de l’esthétique kitch et truculente de John Waters.
EVERYTHING OLD IS NEW AGAIN
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1996, après une morne plaine de presque dix ans qui n’aura vu que le très bon Etrange Noël de Monsieur Jack de Tim Burton s’aventurer dans l’univers de la comédie musicale, Woody Allen donne un nouveau coup de pouce au genre en proposant son hommage Tout le monde dit I love you. Si le film fait un petit score au box-office américain, il bénéficie de l’aura de son réalisateur à l’international et notamment en France. Il marque également le retour en tête d’affiche de stars non spécialisées en danse ou en chant comme c’était le cas lors des débuts du genre. Il faudra cependant attendre Moulin Rouge! de Baz Luhrmann en 2001 pour que ce dernier connaisse un réel sursaut. Sélectionné à Cannes, bardé de nominations aux Oscars et à leurs équivalents australiens, le film joue sur des standards de la chanson moderne et redore par la même occasion le blason des grands mélos musicaux. 2002 l’évènement Chicago débarque en fanfare et trompettes. Tous les ingrédients sont au rendez-vous. Adaptation du show de Bob Fosse, une poignée de stars du grand écran, un chorégraphe talentueux à la réalisation et une bonne dose de modernité à l’ensemble lui permettent de remporter entre autres récompenses six Oscars (sur treize nominations) dont celui du meilleur film. La comédie musicale semble être revenue au goût du jour. Si la MGM a fait un flop en 2004 avec son film hommage De-Lovely, les producteurs et réalisateurs ne baissent pas pour autant les bras. Pour preuves, les adaptations récentes de trois des derniers succès de Broadway Le Fantôme de l’Opéra Les Producteurs et Rent, mais également la surprise Reefer Madness.
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