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COFFRET FEDERICO FELLINI
De Fellini, le plus connu reste cet adjectif: "fellinien", qui veut dire
démesuré. Généralement parce que le cinéaste a tendance à montrer des personnages choisis pour des caractéristiques
physiques peu communes. Mais ce n'est que la surface: son principal trait de mise en scène est une exubérance
de la vie, les gens qui parlent beaucoup, qui s'apostrophent pour un oui, pour un non, qui ne s'écoutent pas…
Et très vite, un point de vue fellinien se dessine. Le regard du personnage principal porte sur sa vie dans son
ensemble, par rapport à l'histoire qu'il nous raconte et non sur son histoire par rapport à sa vie du moment.
Quant aux personnages felliniens, ils ne sont pas son cinéma mais la toile de fond, au même titre que le paysage,
qui a toujours joué un rôle important dans ses films (leçon retenue du néoréalisme italien, le paysage tenant
toujours une place de poids dans les films de De Sica comme ceux de Rossellini - de qui Fellini a été premier
assistant). C'est derrière ce spectacle ininterrompu de la vie que se débattent ses protagonistes. L'effet
obtenu est celui d'un cinéma qui ne cesse de surprendre, à chaque film, à chaque séquence et, finalement,
donne à voir, à écouter et surtout à sentir une réalité frénétique ou poétique bien plus proche du réel que
celle généralement admise au cinéma. Le cinéma de Fellini est un cinéma qui tâche. Recommandé à tous ceux qui
n'aiment pas leur cinéma ou leur vie trop propre.
I VITELLONI
(Italie, 1953)
Avec Franco Interlenghi, Alberto Sordi, Franco Fabrizi, Leopoldo Trieste, Riccardo Fellini
Avec le recul, I Vitelloni apparaît comme l'improbable chaînon manquant entre le néoréalisme italien
et la Nouvelle Vague française (et mondiale) des années 60. Premier film que son auteur qualifie de
personnel, il peint l'ennui d'une jeunesse qui n'a plus de cause ni de héros. Echo avec le discours
d'introduction d'Un monde sans pitié? Pas si irréaliste. Le regard de Fellini sur sa jeunesse à Rimini
est impressionnant de modernité. Ce film tourné en 1953 semble avoir donné le 'la' pour tous les films
de groupe d'amis un peu glandeurs et les jeunesses pas si dorées que ça. C'était la première fois que
l'on filmait cette jeunesse, qui n'avait jamais existé auparavant: "ces chouchous à leur mémère"
comme Fellini appelait lui-même ces Vitelloni. Pour la première fois, les enfants n'étaient plus aussi
pressés de quitter leurs parents, les parents n'étaient pas aussi pressés de les laisser partir. Pour la
première fois, le développement économique permettait de ralentir le passage à l'âge adulte et le syndrome
Peter Pan naissait, créant une jeunesse perdue dans son romantisme, à la fois pathétique et émouvante. Les
situations présentées ne sont pas que dérisoires, il en ressort également une tendresse et une pointe de
regret pour cet âge révolu où les soucis étaient légers et la vie était tellement plus facile. Parce qu'il
filme aussi sa jeunesse, Fellini a traité ses personnages avec suffisamment de recul pour que l'humour et
la force de l'amitié qui les lient soient présents et empêche son œuvre de sombrer dans le simple constat
social. C'est l'équilibre entre ces deux aspects qui fait de I Vitelloni un film précieux. Il restera comme
les débuts remarquables d'un grand auteur en devenir.
IL BIDONE
(Italie, 1955)
Avec Broderick Crawford, Franco Fabrizi, Richard Basehart, Guilietta Masina
Dans la même veine qu'I Vitelloni, Il Bidone utilise les recettes visuelles du néoréalisme italien pour montrer
non pas un état de la société mais pour parler de ratés pour lesquels on ne peut pas s'empêcher d'éprouver un peu
de tendresse. Augusto, le personnage central du film, est un escroc à la petite semaine qui a vieilli sans s'en
apercevoir, tout préoccupé qu'il était à attendre "le coup", celui qui lui permettrait de s'en sortir. Ses
partenaires sont beaucoup plus jeunes que lui et ses combines sont plus basses que tout, dépouillant les plus
démunis de leurs derniers sous. En très peu de séquences, le destin d'Augusto est scellé: après deux arnaques
et une fête déprimante, Augusto est rattrapé par son passé et il est envoyé en prison. A l'époque où Hollywood
vit l'âge d'or du cinéma noir, Fellini dresse le portrait sordide d'un escroc qui n'a rien de glamour. Mais il
le fait au moment où cet escroc se rend compte à quel point sa vie a été un leurre. Quand le film commence,
Augusto a 48 ans, son corps n'est plus jeune, sa vie est triste et ses compagnons n'en sont pas: ils sont trop
jeunes, ils n'ont pas la même mentalité, les mêmes envies, la même façon de vivre. Le glamour s'est envolé, il
ne reste plus de strass ou de paillettes pour cacher la misère de sa vie. Parce qu'il est en train de faire les
comptes sur sa vie, Augusto se rend compte de toutes ses erreurs et il en est évidemment extrêmement émouvant.
Nouvelle mise à mal d'un "mythe" italien, la petite arnaque, la petite escroquerie, Il Bidone est un vrai film
noir, à la fois tragique et honnête.
FELLINI, JE SUIS UN GRAND MENTEUR
(France / Italie / Grande-Bretagne, 2002)
Avec Federico Fellini, Roberto Benigni, Terence Stamp, Donald Sutherland, Tullio Pinelli
Fellini, je suis un menteur est un documentaire centré autour d'une interview faite peu de temps
avant la disparition du cinéaste. Interviennent aussi nombres de ses collaborateurs. Mais le portrait
dessiné ne cesse de s'ouvrir, le personnage du maestro est tellement énorme que l'artiste reste toujours caché
et finalement il ne sera que très peu question de cinéma. Fellini a essayé, à travers son œuvre, de démystifier
les mythes les plus importants de la culture italienne et s'est vu remettre les plus grands honneurs pour cela.
N'en revenant pas, il choisit de tirer sur la corde pour voir jusqu'où on le laissera faire. Ses films n'ont
quasiment jamais fait recette et pourtant tout lui est permis. Il ruine les producteurs mais c'est normal, il est
Le Maestro et le produire se paie. Pourtant, au cours de l'interview, il dit qu'il n'a jamais très bien compris
pourquoi, il croit plus en une blague du destin qu'en un éventuel génie. Malheureusement, le réalisateur du
documentaire n'a pas choisi de s'attarder sur l'interrogation que se pose Fellini et qu'il s'est visiblement
posée toute sa vie. Suivant la chronologie de la vie du cinéaste, la construction du documentaire est très
classique, très sage et rapidement insatisfaisante. A force de courir après le mythe Fellini, le réalisateur passe
à côté de ce qui aurait réellement pu l'expliquer: la situation de l'Italie à ce moment, l'échec du développement
du cinéma italien et, évidemment, la culture italienne. Reviennent les phrases mille fois entendues: comment Fellini
a choisi le paysage emblématique de La Strada, comment il a voulu pour Casanova d'une mer artificielle parce qu'une
mer faite d'eau, c'est tellement banal que ça semble irréaliste... Et au-delà de ces énormités, le contrepoids
apporté par les déclarations de Fellini n'est pas suffisant pour donner au spectateur un portrait défini. Et il
est difficile de se séparer de l'impression que ce manque ne provient pas de la personnalité de Fellini mais bien
de l'impuissance du documentariste à aller jusqu'au bout de son film. Heureusement, la personnalité du cinéaste et
son intelligence sont suffisants pour que le film se regarde d'un bout à l'autre avec plaisir.
JULIETTE DES ESPRITS
(Italie, 1965)
Avec Guilietta Masina, Sandra Milo, Mario Pisu, Valentina Cortese
Juliette des Esprits a trop longtemps été expédié comme une resucée au féminin de 8 ½. Il est vrai que Fellini
y dresse, avec des éléments narratifs similaires, le portrait d'une femme faisant le point sur sa vie, notamment
en rappelant à sa mémoire des souvenirs d'enfance. Mais Juliette des Esprits est beaucoup plus que cela. Film de
forme autant que de fond, c'est avant tout le premier film en couleurs de Fellini. Et quelles couleurs! Pas de
rouge saturé comme un film hollywoodien, pas de gris comme un film français mais des oranges, des verts, des
bleus éclatants. Visuellement, le film étincelle, c'est un régal. Ensuite, il y a la musique de Nino Rota, qui
signe là sans doute l'une de ses plus belles bandes originales. La différence entre Juliette des Esprits et les
autres films de Fellini non seulement se voit mais s'entend. La complicité entre les deux hommes est légendaire
et Rota est parmi les plus brillants compositeurs de musiques de films. Ici, la musique n'est jamais pesante,
même dans ses moments plus tragiques. Enfin, il y a la fantasmagorie: les souvenirs ne sont plus exacts, ils
sont baroques, les visions ne sont plus brumeuses mais apocalyptiques, le réel est exubérant, la vie est un
tourbillon qui ne s'arrête qu'au petit matin, laissant le corps fatigué et l'esprit insatisfait, tourmenté par
l'amertume des espérances laissées à l'abandon. Alors, quand tout semble noir, inextricable, irrécupérable, les
peurs de l'enfance resurgissent pour être enfin élucidées. Une étape est passée et, débarrassée des fantômes de
la jeunesse, Juliette peut apprendre à connaître l'adulte qu'elle est vraiment et vivre la vie qu'elle veut,
comme elle veut et surtout avec qui elle veut.
A noter: le coffret contient également La Dolce Vita (chef d'œuvre sur lequel les écrits sont plus que nombreux),
Répétition d'orchestre (petit film largement sous-estimé, beaucoup plus intéressant et riche que son titre veut
bien nous le laisser croire) et La Voce della Luna (dernier film de Fellini et sans doute le moins intéressant
de sa filmographie).
INTERACTIVITE
A noter tout d'abord l'extrême soin apporté par Opening à chaque copie de film. L'image
est impeccable. Les films en noir et blanc bénéficient d'un contraste stupéfiant et ceux en couleurs d'une
beauté visuelle, d'un éclat qui forcent le respect. Les bandes son restent pour la plupart en mono (surtout
pour les plus vieux films) mais elles ont été suffisamment décrassées pour que la magie des musiques de Nino
Rota donne la chair de poule.
- Chaque film bénéficie d'une présentation par Jean Collet, passionné de Fellini au point d'avoir écrit
le livre La Création selon Fellini. Sobre et concis, ses présentations sont suffisamment fines et
enthousiastes pour que l'on ait l'eau à la bouche avant que le film ne commence.
- Autant il est intéressant sur de courtes durées (chacune des présentations ne dure jamais plus de 4 min),
autant Jean Collet devient un peu ennuyeux dans Images d'imaginaire, longue interview d'une heure au
cours de laquelle il revient sur chaque film présenté dans le coffret pour dégager des thèmes récurrents dans
l'œuvre de Fellini. Si les thèmes sont bien là, leur présentation n'est pas dynamique, le propos n'est pas
ludique et d'une façon générale, aucune réelle analyse de l'œuvre ne se dégage, trop de formules toutes faites
plombent des idées dont la pertinence n'était déjà pas flagrante.
- S'y trouve également Cinecitta, documentaire de 45 min sur les célèbres studios romains, réalisé au
début des années 80. A travers la fabrication de deux films, Le Roi Dagobert de Dino Risi et Et vogue
le navire de Fellini, tout le principe de création d'un film à Cinecitta nous est montré, occasion idéale de
nous prouver l'incroyable étendue des ressources des studios. Cependant le début déconcerte quelque peu, car
commencer un documentaire sur les studios par les scénarios produits en 1982 n'est pas vraiment ce qu'on peut
s'attendre à voir. Mais en s'attachant à toutes les étapes de la construction des deux films, on a le sentiment
d'être dans un domaine très privé, un cercle très exclusif et la magie opère. Il est d'ailleurs très intéressant,
à l'heure où les making of sont légions, de découvrir ce film tout aussi ludique que poétique.
- Document bien plus émouvant, Nino Rota par Fellini est un portrait, par le Maestro lui-même, de celui
qui était son alter ego musical. On est saisi par le parallèle entre les couples Fellini/Rota et Miyazaki/Hisashi,
qui vient forcément à l'esprit quand on voit la complicité et surtout l'émulation qui naissait entre eux, l'un
entraînant l'autre à être toujours plus audacieux. En une dizaine de minutes, toute l'émotion véhiculée par la
puissance des partitions de Rota ressurgit, notamment grâce à un montage final aussi simple qu'efficace.
- On a aussi le plaisir de voir les bandes annonces de La Dolce Vita et de Juliette des Esprits.
Montage d'images arrêtées sur bande son énigmatique, comme c'était la tendance au début des années 60, il montre bien
l'incompréhension des distributeurs face au chef-d'œuvre de Fellini. Alors que le propos de La Dolce Vita est avant
tout de dénoncer la sur-médiatisation de l'époque, la bande-annonce le présente comme justement un film
sensationnaliste. En revanche, la bande annonce de Juliette des Esprits est la parfaite invitation au voyage
fantastique qu'est le film. Pour un peu, il donnerait envie de voir le film tout de suite après.
- A ajouter à cela, un DVD entier de bonus dédié à Fellini, je suis un grand menteur. Complément au
documentaire, La Casa Pericolante revient sur les différents lieux qui ont marqué Fellini. On y commence par
un portrait haut en couleurs de Rimini, la ville natale de Fellini, et on y termine dans le cimetière où il est
enterré avec Guilietta Masina et leur fils. En une vingtaine de minutes, les paysages défilent, les maisons laissées
à l'abandon reprennent vie, cette petite course à travers l'Italie se révèle vite émouvante. Il est aussi
impressionnant de voir la trace qu'a laissé Fellini en Italie.
- Un court métrage russe, Il Lungo Viaggio, offre une balade fantaisiste à l'intérieur des croquis que Fellini
faisait au moment de la création d'un nouveau film. Léger et plein de pointes d'humour, totalement en accord avec
l'esprit de Fellini, il reprend tous les personnages qui ont laissé une empreinte dans l'univers fantasque du cinéaste
pour créer un semblant d'histoire mais surtout jouer avec ces personnages, les faire revivre une dernière fois
pour un adieu final à Fellini.
- Fellini, entretien propose 10 minutes d'interview qui n'ont pas été utilisées dans le montage
final du documentaire. Les propos tenus pendant ce moment sont très intéressants et apportent un peu plus
de lumière sur le processus créatif du cinéaste.
- 8 interviews & ½ propose le reste des interviews des autres intervenants de Fellini, je suis un grand menteur, ce qui peut être particulièrement intéressant, comme dans le cas de Donald Sutherland, qui raconte l'horreur qu'a été le tournage de Casanova, ou dans celui de Daniel Toscan du Plantier, qui raconte l'enfer dans lequel Fellini s'amusait à jeter ses producteurs. Chaque interview montre bien la fascination que Fellini ne pouvait s'empêcher de faire naître. Le ½ est un enregistrement sonore d'Italo Calvino parlant de sa collaboration avec le cinéaste et, même celui qui est considéré comme l'un des plus grands écrivains italiens ne pouvait s'empêcher d'être éperdu d'admiration pour celui qui restera comme un grand menteur mais aussi comme l'un des plus grands cinéastes.
Michaël Biezin
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